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[THE CONVERSATION] Les bilingues sont-ils plus forts en maths ?
Publié le 4 juin 2024
Un article écrit par Xavier Aparicio, professeur des Universités en psychologie cognitive à l'Inspé de l'académie de Créteil UPEC.
Date(s)
le 3 juin 2024
Le bilinguisme peut avoir un impact sur le fonctionnement cognitif, notamment sur les fonctions exécutives comme la logique, la mise en place de stratégies, la planification, la résolution de problèmes et le raisonnement. Associées aux aires préfrontales du cerveau, celles-ci permettent la gestion de nos comportements sociaux, l’adaptation à de nouvelles situations et la régulation de nos émotions.
Les fonctions exécutives nous permettent donc, au quotidien, de gérer des situations qui demandent de la réflexion et de la créativité. Ainsi, elles sont étroitement associées aux apprentissages scolaires, et particulièrement mises en avant pour le développement de la littératie et l’apprentissage des mathématiques.
Cette connexion forte entre la pratique régulière d’une seconde langue et la plus grande efficience des fonctions exécutives nous invite à examiner, de façon plus spécifique, l’impact du bilinguisme sur l’apprentissage des mathématiques et la résolution de problèmes chez les enfants.
Sebastian Kempert, Henrik Saalbach et Ilonca Hardy ont exploré les bénéfices cognitifs du bilinguisme chez des élèves du primaire, en se concentrant sur la résolution de problèmes mathématiques. Les auteurs ont mis en évidence que les bilingues ayant une forte fluence – c’est-à-dire une grande facilité à lire et s’exprimer avec précision – étaient davantage susceptibles d’obtenir des performances supérieures dans la résolution de problèmes en comparaison aux monolingues et aux bilingues de faible fluence.
Ainsi, le bénéfice du bilinguisme sur les compétences en maths n’est pas généralisé à l’ensemble des participants considérés comme bilingues, mais limité à ceux qui ont un bon niveau de maitrise des langues.
Ces résultats sont en adéquation avec d’autres travaux mettant l’accent sur l’importance des compétences langagières dans l’apprentissage des mathématiques. Cela se vérifie notamment lorsque les problèmes mathématiques sont extraits d’un contexte porteur de sens, comme dans les énoncés des problèmes arithmétiques.
Ainsi, les bilingues émergents, ou les élèves allophones (de langue maternelle étrangère) ayant un faible niveau dans la langue de scolarisation peuvent rencontrer des difficultés lorsqu’ils sont confrontés à des problèmes mathématiques.
L’étude de Sebastian Kempert et ses collègues souligne par ailleurs que les élèves bilingues peuvent rencontrer des défis supplémentaires lorsqu’ils résolvent des problèmes mathématiques en raison de la nécessité de jongler avec plusieurs langues. Si cela peut représenter un défi, avec une pratique régulière, les avantages cognitifs semblent l’emporter sur les coûts, du moins en ce qui concerne la résolution de problèmes mathématiques.
Une autre étude de Mark Leikin, Esther Tovli et Anna Woldo a exploré l’interaction entre le bilinguisme, les fonctions exécutives et la créativité dans la résolution de problèmes, ici chez des étudiants universitaires. Les résultats ont mis en évidence que les bilingues dont les compétences entre les deux langues sont équilibrées ont obtenu de meilleures performances aux tests de pensée créative.
Dans l’étude de H. Lee Swanson, Genesis D. Arizmendi et Jui-Teng Li, c’est l’impact de la mémoire de travail qui est examiné. Associée aux fonctions exécutives, celle-ci joue un rôle de maintien et de traitement des informations, permettant notamment de relier les éléments d’un énoncé aux connaissances et stratégies de résolution présentes au sein de la mémoire à long terme.
Menée auprès d’enfants hispanophones vivant dans un environnement où l’anglais américain est parlé, l’étude a montré que l’augmentation de la capacité de mémoire de travail était corrélée de façon significative à la résolution de problèmes mathématiques dans les deux langues parlées.
Les conceptions de ce qu’est l’éducation bilingue sont assez variées en fonction des approches et des pays. Il en résulte une absence de résultats et de prescription universelle en la matière. D’après Colin Baker, la conception de ce que doit être l’éducation bilingue dépend assez largement du point de vue, et à l’heure actuelle les études menées dans un contexte donné peuvent s’avérer plus ou moins pertinentes dans un autre contexte.
Ellen Bialystok a dressé une synthèse, principalement orientée sur les pratiques nord-américaines, et montre que l’expression « éducation bilingue » est générique, correspondant à une multitude de circonstances particulières. Ce terme fait ainsi référence à tout programme scolaire dans lequel plus d’une langue est utilisée pour enseigner des matières académiques non linguistiques, ou bien où la langue de scolarisation ne correspond pas à la langue du foyer ou de la communauté.
Cependant, les raisons explicites de l’intégration des langues, les langues spécifiques choisies, la structure du programme et la relation entre les langues scolaires et la communauté varient considérablement et influencent les résultats scolaires.
Il en résulte néanmoins une distinction entre une « éducation bilingue », visant à promouvoir deux langues en tant que supports d’enseignement pour des parties significatives du système scolaire, et celle destinée à enseigner aux élèves allophones la lecture et l’écriture dans leur langue maternelle, tout en développant ces apprentissages dans la langue seconde. Pour les allophones, l’enseignement de contenus dans leur langue maternelle permettrait une transition progressive vers la langue de scolarisation sur une période de plusieurs années.
Dans une étude incluant des élèves de la maternelle à la deuxième année du primaire, Kathryn Lindholm-Leary a évalué 283 élèves hispaniques de faible statut socio-économique (SSE) dans des programmes anglais ou bilingues. Les élèves entrant dans les programmes anglais de maternelle avaient des scores linguistiques plus élevés que ceux entrant dans les programmes bilingues, mais ces différences ont disparu au bout d’un ou deux ans, puis se sont inversées. Les élèves du programme bilingue ont alors dépassé le groupe d’instruction uniquement en anglais dans les scores aux tests en anglais et en espagnol à la fin de la deuxième année.
Ces résultats vont dans le sens d’un effet bénéfique sur le long terme d’un enseignement bilingue, notamment sur les compétences linguistiques et l’alphabétisation dans les deux langues. Dans la méta-analyse de David J. Francis, Nonie Lesaux et Diane August, il ressort que l’enseignement bilingue a un effet positif faible à modéré sur les résultats en matière de lecture en anglais.
Quelles sont alors les raisons qui pourraient expliquer de meilleures performances en mathématiques des élèves en situation de bilinguisme ? Une explication que Viorica Marian, Anthony Shook et Scott R. Schroeder proposent pour analyser les meilleurs résultats en mathématiques des enfants dans les programmes bilingues est que le niveau de bilinguisme atteint dans ces programmes a permis d’entraîner les fonctions exécutives, dont l’efficacité soutient, entre autres, les performances en mathématiques.
Plusieurs études sur les jeunes élèves des premières années scolaires ont en effet mis en évidence une relation directe entre les capacités exécutives des élèves et les résultats en mathématiques et un grand nombre de recherches ont établi que le bilinguisme favorise le développement des fonctions exécutives chez les jeunes enfants. Il est important de noter que le niveau d’efficacité des fonctions exécutives des enfants est un prédicteur de la réussite scolaire. Par conséquent, l’éducation bilingue peut avoir un effet bénéfique dans la mesure où elle favorise non seulement la pratique des langues, mais aussi un aspect crucial de la performance cognitive.
Les recherches montrent que le lien entre bilinguisme et succès dans les performances mathématiques n’est pas linéaire, et suppose de considérer différents facteurs, cognitifs, linguistiques, sociaux et environnementaux pour ne citer que ceux-ci. Elles amènent également à développer une réflexion en termes de politiques éducatives, relatives à l’apprentissage des mathématiques d’une part mais aussi à la place des langues dans les enseignements et les apprentissages.
En analysant la synthèse d’Ellen Bialystok trois résultats possibles sont identifiés concernant l’enseignement bilingue :
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Xavier Aparicio, Professeur des Universités en psychologie cognitive, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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Les fonctions exécutives nous permettent donc, au quotidien, de gérer des situations qui demandent de la réflexion et de la créativité. Ainsi, elles sont étroitement associées aux apprentissages scolaires, et particulièrement mises en avant pour le développement de la littératie et l’apprentissage des mathématiques.
Cette connexion forte entre la pratique régulière d’une seconde langue et la plus grande efficience des fonctions exécutives nous invite à examiner, de façon plus spécifique, l’impact du bilinguisme sur l’apprentissage des mathématiques et la résolution de problèmes chez les enfants.
L’IMPACT DU BILINGUISME SUR LA RÉSOLUTION DE PROBLÈMES
Sebastian Kempert, Henrik Saalbach et Ilonca Hardy ont exploré les bénéfices cognitifs du bilinguisme chez des élèves du primaire, en se concentrant sur la résolution de problèmes mathématiques. Les auteurs ont mis en évidence que les bilingues ayant une forte fluence – c’est-à-dire une grande facilité à lire et s’exprimer avec précision – étaient davantage susceptibles d’obtenir des performances supérieures dans la résolution de problèmes en comparaison aux monolingues et aux bilingues de faible fluence.Ainsi, le bénéfice du bilinguisme sur les compétences en maths n’est pas généralisé à l’ensemble des participants considérés comme bilingues, mais limité à ceux qui ont un bon niveau de maitrise des langues.
Ces résultats sont en adéquation avec d’autres travaux mettant l’accent sur l’importance des compétences langagières dans l’apprentissage des mathématiques. Cela se vérifie notamment lorsque les problèmes mathématiques sont extraits d’un contexte porteur de sens, comme dans les énoncés des problèmes arithmétiques.
Ainsi, les bilingues émergents, ou les élèves allophones (de langue maternelle étrangère) ayant un faible niveau dans la langue de scolarisation peuvent rencontrer des difficultés lorsqu’ils sont confrontés à des problèmes mathématiques.
L’étude de Sebastian Kempert et ses collègues souligne par ailleurs que les élèves bilingues peuvent rencontrer des défis supplémentaires lorsqu’ils résolvent des problèmes mathématiques en raison de la nécessité de jongler avec plusieurs langues. Si cela peut représenter un défi, avec une pratique régulière, les avantages cognitifs semblent l’emporter sur les coûts, du moins en ce qui concerne la résolution de problèmes mathématiques.
Une autre étude de Mark Leikin, Esther Tovli et Anna Woldo a exploré l’interaction entre le bilinguisme, les fonctions exécutives et la créativité dans la résolution de problèmes, ici chez des étudiants universitaires. Les résultats ont mis en évidence que les bilingues dont les compétences entre les deux langues sont équilibrées ont obtenu de meilleures performances aux tests de pensée créative.
Dans l’étude de H. Lee Swanson, Genesis D. Arizmendi et Jui-Teng Li, c’est l’impact de la mémoire de travail qui est examiné. Associée aux fonctions exécutives, celle-ci joue un rôle de maintien et de traitement des informations, permettant notamment de relier les éléments d’un énoncé aux connaissances et stratégies de résolution présentes au sein de la mémoire à long terme.
Menée auprès d’enfants hispanophones vivant dans un environnement où l’anglais américain est parlé, l’étude a montré que l’augmentation de la capacité de mémoire de travail était corrélée de façon significative à la résolution de problèmes mathématiques dans les deux langues parlées.
LA QUESTION DE L’ÉDUCATION BILINGUE
Les conceptions de ce qu’est l’éducation bilingue sont assez variées en fonction des approches et des pays. Il en résulte une absence de résultats et de prescription universelle en la matière. D’après Colin Baker, la conception de ce que doit être l’éducation bilingue dépend assez largement du point de vue, et à l’heure actuelle les études menées dans un contexte donné peuvent s’avérer plus ou moins pertinentes dans un autre contexte.Ellen Bialystok a dressé une synthèse, principalement orientée sur les pratiques nord-américaines, et montre que l’expression « éducation bilingue » est générique, correspondant à une multitude de circonstances particulières. Ce terme fait ainsi référence à tout programme scolaire dans lequel plus d’une langue est utilisée pour enseigner des matières académiques non linguistiques, ou bien où la langue de scolarisation ne correspond pas à la langue du foyer ou de la communauté.
Cependant, les raisons explicites de l’intégration des langues, les langues spécifiques choisies, la structure du programme et la relation entre les langues scolaires et la communauté varient considérablement et influencent les résultats scolaires.
Il en résulte néanmoins une distinction entre une « éducation bilingue », visant à promouvoir deux langues en tant que supports d’enseignement pour des parties significatives du système scolaire, et celle destinée à enseigner aux élèves allophones la lecture et l’écriture dans leur langue maternelle, tout en développant ces apprentissages dans la langue seconde. Pour les allophones, l’enseignement de contenus dans leur langue maternelle permettrait une transition progressive vers la langue de scolarisation sur une période de plusieurs années.
Dans une étude incluant des élèves de la maternelle à la deuxième année du primaire, Kathryn Lindholm-Leary a évalué 283 élèves hispaniques de faible statut socio-économique (SSE) dans des programmes anglais ou bilingues. Les élèves entrant dans les programmes anglais de maternelle avaient des scores linguistiques plus élevés que ceux entrant dans les programmes bilingues, mais ces différences ont disparu au bout d’un ou deux ans, puis se sont inversées. Les élèves du programme bilingue ont alors dépassé le groupe d’instruction uniquement en anglais dans les scores aux tests en anglais et en espagnol à la fin de la deuxième année.
Ces résultats vont dans le sens d’un effet bénéfique sur le long terme d’un enseignement bilingue, notamment sur les compétences linguistiques et l’alphabétisation dans les deux langues. Dans la méta-analyse de David J. Francis, Nonie Lesaux et Diane August, il ressort que l’enseignement bilingue a un effet positif faible à modéré sur les résultats en matière de lecture en anglais.
Quelles sont alors les raisons qui pourraient expliquer de meilleures performances en mathématiques des élèves en situation de bilinguisme ? Une explication que Viorica Marian, Anthony Shook et Scott R. Schroeder proposent pour analyser les meilleurs résultats en mathématiques des enfants dans les programmes bilingues est que le niveau de bilinguisme atteint dans ces programmes a permis d’entraîner les fonctions exécutives, dont l’efficacité soutient, entre autres, les performances en mathématiques.
Plusieurs études sur les jeunes élèves des premières années scolaires ont en effet mis en évidence une relation directe entre les capacités exécutives des élèves et les résultats en mathématiques et un grand nombre de recherches ont établi que le bilinguisme favorise le développement des fonctions exécutives chez les jeunes enfants. Il est important de noter que le niveau d’efficacité des fonctions exécutives des enfants est un prédicteur de la réussite scolaire. Par conséquent, l’éducation bilingue peut avoir un effet bénéfique dans la mesure où elle favorise non seulement la pratique des langues, mais aussi un aspect crucial de la performance cognitive.
Les recherches montrent que le lien entre bilinguisme et succès dans les performances mathématiques n’est pas linéaire, et suppose de considérer différents facteurs, cognitifs, linguistiques, sociaux et environnementaux pour ne citer que ceux-ci. Elles amènent également à développer une réflexion en termes de politiques éducatives, relatives à l’apprentissage des mathématiques d’une part mais aussi à la place des langues dans les enseignements et les apprentissages.
En analysant la synthèse d’Ellen Bialystok trois résultats possibles sont identifiés concernant l’enseignement bilingue :
- aucune différence mesurable entre les programmes bilingues et les programmes standard ;
- un certain avantage à participer à un programme bilingue ;
- des difficultés pour les élèves des programmes bilingues qui conduisent à des résultats moins bons que ceux qui seraient obtenus dans des programmes traditionnels.
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Xavier Aparicio, Professeur des Universités en psychologie cognitive, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons.
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