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Interview d'Erika Simard-Dupuis

Publié le 9 décembre 2020 Mis à jour le 9 décembre 2020

Erika Simard-Dupuis vient d'obtenir la Médaille académique du Gouverneur général du Canada, la plus prestigieuse récompense académique de Canada, au regard de son parcours universitaire et doctorat.

Erika Simard-Dupuis
 
  • Pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours universitaire ? (NB. Les niveaux scolaires au Québec et en France sont différents). Parlez-nous de votre doctorat, sur quoi avez-vous travaillé, votre thèse, qu’avez-vous soutenu ?

Érika Simard-Dupuis, 30 ans. Je suis née à Montréal, au Québec, seule province francophone du Canada. Je suis une adepte de plein air. J’ai déjà parcouru le Chemin de Compostelle à pied, de Burgos à Santiago, et je rêve de faire d’autres randonnées pédestres à travers le globe. J’aime voyager. J’adore les animaux. J’aime les romans policiers. Je suis une grande amatrice de hockey. J’estime être une personne très organisée, dotée d’une grande capacité d’écoute et d’analyse.

J’ai fait mes études secondaires (de la 5e à la 1re ) au Collège Saint-Hilaire, sur la Rive-Sud de Montréal, et mes études collégiales (terminale et licence 1 ) en sciences pures et appliquées au Cégep de Saint-Hyacinthe. C’est pour fuir la ville de Montréal, et par amour pour la nature, que j’ai décidé de poursuivre mes études universitaires en Estrie, une région réputée pour la beauté de ses paysages. Un choix différent de celui de mes sœurs, Noémie et Héloïse, aujourd’hui diplômées de l’Université de Montréal et de l’Université du Québec à Montréal en architecture/urbanisme et en gestion et design de la mode. Mes parents, nouveaux retraités, ont toujours valorisé notre éducation. Si cette distinction m’est à présent attribuée, c’est grâce à mes parents et aux valeurs – la rigueur, la détermination, l’humilité, l’ouverture d’esprit – qu’ils nous ont transmises. Ma mère, médecin vétérinaire, travaillait en tant que gestionnaire en virologie, pathologie et biotechnologie pour l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) à Saint-Hyacinthe. Mon père était professeur de philosophie au Collège Jean-de-Brébeuf à Montréal.

J’ai fait un baccalauréat (licence 2, licence 3 et master 1 ) en enseignement au secondaire (BES), profil sciences et technologies (majeure en chimie) à l’Université de Sherbrooke (2009-2013). Au cours du BES, j’ai travaillé comme assistante de recherche pour la professeure Christiane Blaser pour un projet intitulé « Le rapport à l’écrit des enseignants : un levier essentiel dans le développement de la compétence à écrire des élèves ». Mon intérêt pour le français, qui a toujours fait partie de ma vie (sans doute grâce à la bibliothèque familiale bien garnie, et à la place qu’occupaient la lecture et l’écriture dans la vie de mes parents), a alors décuplé. Dans le cadre de mon dernier stage au BES, j’ai réalisé une recherche-action, en lien avec un mémoire professionnel que dirigeait Christiane, qui portait sur l’enseignement explicite de stratégies de lecture et d’écriture en sciences et technologie de l’environnement (STE) en 4e secondaire (seconde ).

J’ai également eu l’occasion à la fin du BES de travailler comme assistante de recherche pour la professeure Marie-France Morin, titulaire de la Chaire de recherche sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture chez le jeune enfant (CREALEC). J’ai participé à de nombreuses collectes de données auprès d’élèves du primaire, dans le cadre du projet « Une approche pédagogique pour travailler les compétences graphomotrices en écriture au 1er cycle du primaire ». Marie-France m’a initié au « monde de l’écrit » chez les enfants. Nouvelle collaboration, nouveau champ de recherche, nouveau coup de cœur!

J’ai pris la décision de poursuivre mes études à la maîtrise en sciences de l’éducation (master 2 ) sous la direction de Marie-France (2013-2014). À la soutenance de mon projet de recherche, les membres de jury ont recommandé un passage accéléré au doctorat. Sous les conseils avertis de Marie-France, engagée dans plusieurs collaborations à l’échelle internationale, j’ai décidé d’entamer, en janvier 2015, un doctorat en cotutelle : l’un en éducation à l’Université de Sherbrooke, sous la direction de Marie-France, l’autre en psychologie à l’Université Paris 8, sous la direction de Denis Alamargot, professeur des Universités, membre du Laboratoire CHArt, directeur de l’équipe « Sciences cognitives et éducation » localisée à l’Université Paris-Est Créteil.

Ma thèse de doctorat s’intégrait dans une recherche plus vaste financée par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH), intitulée « Le rôle des habiletés graphomotrices et orthographiques dans la production de textes chez des élèves francophones du primaire : contraintes et développement », co-dirigé par Marie-France. Elle était également adossée au projet e-FRAN « Twictée pour Apprendre l’Orthographe » (TAO), dans lequel était engagée l’Académie de Créteil.

Ma thèse de doctorat s’intéressait au développement de la graphomotricité et de l’orthographe lexicale chez des élèves de 1re, 3e et 5e année du primaire (CP, CE2, CM2), tant québécois que français. Plus particulièrement, je me suis intéressée à l’influence de la graphomotricité – la capacité à produire des lettres lisiblement et rapidement – sur la capacité à produire des mots correctement. Dans l’ensemble, les résultats de cette recherche montrent une diminution de la réussite orthographique quand les ressources cognitives mobilisées par les traitements graphomoteurs sont élevées. Ainsi, un geste d’écriture trop lent et trop « gourmand » en ressources cognitives compromet le maintien et le rafraîchissement des représentations orthographiques maintenues temporairement actives en mémoire de travail.

Ma thèse a été soutenue financièrement par une allocation de recherche de la part de la Région Île-de-France, une bourse d’excellence du Fonds de recherche du Québec – Société et Culture (FRQSC) et une bourse de mobilité pour les doctorants inscrits en cotutelle de thèse du Fonds de recherche du Québec – Nature et Technologies (FRQNT, Programme Frontenac). Ce soutien financier a été d’une importance capitale, puisqu’il m’a permis de me concentrer à temps plein sur mes études.

Outre la thèse, que j’ai soutenue en novembre 2019 à l’Université de Sherbrooke, j’ai collaboré au fil des années à plusieurs projets de recherche impliquant des élèves ayant une surdité ou une dyslexie-dysorthographie. De là s’est forgé mon intérêt à travailler pour et auprès d’élèves à besoins particuliers.

Je suis chargée d’enseignement au Département d’études sur l’adaptation scolaire et sociale à la Faculté d’éducation de l’Université de Sherbrooke depuis près de trois ans. Les cours que je donne sont directement en lien avec mes intérêts de recherche qui portent sur le développement du langage oral et du langage écrit.

  • Pouvez-vous nous parler un peu plus de la Médaille académique du Gouverneur général du Canada ?

Cette médaille a été créée par Lord Dufferin, troisième gouverneur général du Canada, en 1873. Elle promeut l’excellence en milieu scolaire partout au pays. Elle est remise, chaque année, aux diplômés qui ont obtenu la meilleure moyenne au terme de leurs études. Il s’agit de la récompense la plus prestigieuse que puisse recevoir un étudiant fréquentant un établissement d’enseignement canadien.

La Médaille académique du Gouverneur général du Canada est octroyée à quatre niveaux différents : le bronze aux diplômés du secondaire, le bronze collégial aux diplômés du collégial, l’argent aux diplômés du baccalauréat (1er cycle universitaire), ainsi que l’or – celle que j’ai reçue – aux diplômés de la maîtrise et du doctorat (2e et 3e cycles).

Le comité de direction de l’Université de Sherbrooke m’a désignée comme récipiendaire « or » pour l’année 2019-2020, sur la base de l’excellence de mon dossier scolaire au cours de mes études dans le programme de doctorat en éducation.
 

  • Qu’est-ce que ça vous fait de recevoir une distinction aussi haute ?

J’ai été très surprise de recevoir cette distinction. Elle couronne mes dix années universitaires, qui auront été très stimulantes cérébralement, mais qui m’auront également demandé beaucoup d’efforts et de sacrifices pour toutes ces heures passées à étudier, à lire des articles scientifiques, à collecter mes données, à les analyser et à rédiger ma thèse, scotchée à mon écran d’ordinateur. Le jour, le soir, le week-end. Cette distinction représente les défis auxquels j’ai été confrontée tout au long de cette aventure, soutenue et parfois même portée à bout de bras par ma famille, mes collègues et mes directeurs de recherche. Sans eux, j’aurais probablement abandonné.
 

  • Quel est l’intérêt pour vous d’avoir réalisé votre thèse en co-tutelle, à la fois à l’Université de Sherbrooke et au laboratoire CHArt de l’UPEC ?

Ayant réalisé mes études doctorales en cotutelle, j’ai eu l’occasion d’effectuer plusieurs séjours de recherche, d’un à trois mois, en France. Au début de mon doctorat, j’ai fait un stage de formation méthodologique au laboratoire CHArt-UPEC, sous la direction de Denis. Ce stage m’a permis d’expérimenter le logiciel Eye and Pen qui permet une analyse en temps réel de l’écriture sur tablette graphique. Ce dispositif novateur, à la fine pointe de la technologie, permet de mieux comprendre le fonctionnement des processus mentaux impliqués dans la production écrite. C’est au moyen de ce logiciel que mes données de thèse ont été collectées et analysées.

C’est sans doute ce qui m’a marquée le plus pendant mon parcours doctoral, croisé dans deux champs disciplinaires : avoir la chance d’être impliquée comme étudiante-chercheuse au sein de la Chaire de recherche sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture chez le jeune enfant, au Québec, mais d’être aussi intégrée à de nombreux projets menés en sol français au sein de l’équipe « Sciences cognitives et éducation ». Dans le cadre de ma thèse, j’ai effectué deux collectes de données au sein des Académies de Créteil et de Poitiers, et une collecte de données au Québec. Une expérience très riche, tant humaine que professionnelle. Une expérience aussi difficile (loin de ma famille, loin de mes repères) qu’enrichissante. J’ai pu observer une variété de pratiques éducatives à la maternelle et au primaire, dans des milieux socio-économiques et culturels diversifiés, en ville comme à la campagne.

Mes six années d’expérience en recherche au sein d’une équipe québécoise et d’une équipe française m’ont permis d’acquérir le bagage conceptuel et méthodologique, tant en éducation qu’en psychologie, pour mieux appréhender la complexité du processus d’écriture – de son développement et de son apprentissage – chez différentes populations d’élèves, un domaine qui me passionne.